Peintures, nettoyants ménagers, pesticides, parfums… Un étude de « Science » montre l’ampleur insoupçonnée de cette pollution usuelle.
Ils nous entourent bien plus que les automobiles et nos cabinets de toilette, placard à balais et autres garages en sont remplis. Ces produits dérivés du pétrole que l’on utilise pour fabriquer des détergents, des peintures, des insecticides, des adhésifs, des lotions, des parfums et même des encres d’imprimerie sont tellement présents dans notre quotidien qu’on imagine mal qu’ils puissent tous ensemble représenter la plus importante menace pour la qualité de l’air que nous respirons, et par voie de conséquence pour notre santé.
Une équipe de chercheurs américains emmenée par Brian McDonald, de l’administration nationale américaine de l’atmosphère et des océans (NOAA) vient pourtant de révéler l’ampleur des émissions toxiques de tous ces produits, dans une étude publiée ce soir dans la revue « Science ».
Des polluants urbains
Pour déterminer les causes des émissions de polluants en zones urbaines, ces scientifiques ont décidé de s’intéresser aux composés organiques volatils d’origine humaine (COV). Il s’agit là d’une large catégorie de produits qui, à des degrés divers, sont dangereux pour l’environnement et la santé. On citera par exemple les fameux CFC, interdits par le protocole de Montréal, qui étaient l’un des principaux contributeurs à la destruction de la couche d’ozone.
Les réactions chimiques impliquant certains de ces produits vont par exemple produire de l’ozone à basse altitude, ce qui représente un danger à la fois pour les humains et la végétation. D’autres sont également à l’origine d’aérosols qui vont produire des particules fines, des cancérigènes dont on parle beaucoup en lien avec les moteurs diesel et la pollution automobile en général.
En mesurant les sources de COV sur le territoire des Etats-Unis, l’équipe du Dr McDonald a constaté que la moitié de leurs émissions dans les villes industrialisées étaient désormais dues à des composés chimiques utilisés dans de nombreux produits de consommation courante.
« L’exposition humaine aux aérosols carbonés d’origine fossile se déplace des sources liées aux transports vers les produits chimiques volatiles, » assure l’étude. Traduction : l’ozone et les particules fines sont de moins en moins liées au secteur des déplacements et de plus en plus à des produits d’utilisation courante.
Un impact disproportionné
C’est paradoxalement le succès des mesures antipollution qui met aujourd’hui en relief le rôle de ces dérivés du pétrole dans la pollution de l’air de nos cités. Brian McDonald explique :
Au fur et à mesure que les moyens de transport deviennent plus propres, les autres sources deviennent de plus en plus importantes.
Sans une pareille étude, on n’aurait probablement pas imaginé l’ampleur de cette pollution usuelle. Par exemple, on considère que les principaux responsables de la formation d’ozone sont les émissions de COV et d’oxydes d’azote liées aux véhicules à moteur (diesel et essence). Il y a une certaine logique dans cette supposition : « seulement 5% du pétrole brut est raffiné en produits chimiques pour la grande consommation, 95% finissent en carburants, » expliquent les chercheurs.
Avec l’étude menée aux Etats-Unis, ces scientifiques ont constaté que les fameux COV viennent quasiment à parts égales des premiers et des seconds. Selon eux, les chiffres seraient similaires en Europe, où la moitié des émissions de COV viendraient aussi des composés chimiques pétroliers présents dans notre vie quotidienne.
« L’impact disproportionné des émissions des produits chimiques sur la qualité de l’air est due partiellement à une différence fondamentale entre ces produits et les carburants, » explique Jessica Gilman de la NOAA, coauteur de l’étude.
La pollution intérieure
« L’essence est conservée dans des conteneurs fermés, qu’on espère hermétiques, et les COV qu’elle contient sont brûlés pour obtenir de l’énergie, » poursuit le Dr Gilman.
Mais les produits chimiques volatils utilisés dans les solvants courants et les produits d’hygiène personnels sont conçus justement pour s’évaporer. Vous portez du parfum, ou utilisez des produits parfumés, pour que votre voisin puisse profiter de l’arôme. Vous ne faites pas cela avec l’essence.
Cette pollution ne se limite d’ailleurs pas à l’extérieur de nos habitations. L’équipe du Dr McDonald a en effet montré que nous sommes tout autant exposés à ces polluants chez nous, et que les concentrations seraient même plus importantes dans les lieux fermés.
« Les concentrations à l’intérieur sont souvent dix fois supérieures qu’à l’extérieur, » affirme Allen Goldstein, de l’université de Berkeley (Californie), coauteur de l’étude. « C’est en accord avec le scénario dans lequel les produits basés sur le pétrole utilisés à l’intérieur fournissent une source significative à l’air extérieur dans les environnements urbains. »
Le « cinquième risque »
Ozone et particules fines, principaux composants de la pollution atmosphérique, sont une source importante de mortalité chez l’humain. Il s’agirait même du « cinquième risque pour la santé, derrière la malnutrition, la mauvaise alimentation, la forte tension artérielle et le tabac, » assurent les auteurs de l’étude.
Les particules fines comme l’ozone accroissent les risques de maladies respiratoires, mais aussi de maladies cardiovasculaires et de cancers. Par exemple, on a associé l’exposition aux particules à « un risque majoré de cancer du poumon et de la vessie », comme l’explique l’Institut national du cancer.
Des mesures à prendre ?
La focalisation sur la pollution automobile a cependant eu du bon. Elle a incité le législateur et les constructeurs à mettre en place des mesures réduisant leurs émissions à la source (filtres à particules…).
La prise de conscience liée au trou dans la couche d’ozone stratosphérique et ses dangers pour l’environnement a pour sa part amené à l’interdiction des CFC. Pourrait-on faire la même chose pour les produits à l’origine des COV ?
Le hic, c’est que les composés en question représentent une large palette de produits chimiques très différents, aux procédés de fabrication variés.
« Même s’il est tentant de traiter les COV comme un seul polluant, elles ont des chimies extrêmement diverses, » explique Alastair C. Lewis, du centre national de science atmosphérique de l’université d’York (Angleterre), dans un commentaire de l’étude McDonald, également publié dans « Science ».
Chaque composant suit un cheminement unique, depuis l’émission initiale jusqu’à sa dégradation en un produit final dans l’atmosphère.
« Les modèles représentant une partie de cette chimie prédisent la formation de milliers de composés potentiellement condensables dans une toile complexe de réactions à partir d’un petit nombre d’émissions initiales de COV, » poursuit-il. « Changer le mélange de ces COV initiaux dans les villes pourrait générer une suite différente de produits condensés, qui à leur tour affecteraient la quantité d’ozone et d’aérosols secondaires formés. »
Il préconise donc davantage d’analyses, et une étude plus poussée de la chimie des COV, après quoi « il deviendrait possible de développer des approches plus ciblées pour réduire les impacts. »
« Les approches pour réduire la pollution de l’air mettent en avant les transports et les sources industrielles, » concluent de leur côté Brian McDonald et ses collègues. « Cependant, les produits chimiques sont une source émergente de COV urbains. » De nouveaux outils de recherche pourraient selon eux « renforcer les efforts pour réduire l’exposition humaine à l’ozone, aux particules fines et aux toxiques dans l’air. » En attendant d’en finir entièrement avec le pétrole et ses dérivés ?
Source : L’OBS ; Par Jean-Paul Fritz